Exposition Gradignan : A ceux qui ont donné une part de vie en Afghanistan
Ce samedi 7 décembre 2024, la médiathèque Jean Vautrin de Gradignan accueille une exposition exceptionnelle de photos et témoignages de « ceux qui ont laissé la vie ou donné une part d’eux-mêmes en Afghanistan » il y a plus de 20 ans.
« Une exposition qui ne triche pas » prévient rapidement le Capitaine de frégate Eric Fournaud (Vice-président de l’association ESCALE (Espace Social Cogéré d’Accompagnement et de Lien vers l’Emploi).
Une exposition « partage » aussi qui suppose une prise de risque, celui de s’exposer au regard des autres : ceux qui ne connaissent rien à la guerre, rien à l’Afghanistan.
De G à D le général Puidupin Médecin chef de l'hôpital Robert Piqué, Michel Labardin maire de Gradignan, Eric Fournaud capitaine de frégate, VP de l'association ESCALE, et Stéphane Hayet, président de l'association des camarades de combat de Gradignan.
Celles et ceux qui ont accepté cette prise de risque ont donné une photo et réalisé les commentaires associés en 20 lignes de légende, pas une de plus. Cette démarche correspond à l’étape « reviviscence » dans le processus de « retour vers les vivants » pour ceux qui subissent les troubles du stress post traumatique.
Le maire de Gradignan, Monsieur Michel LABARDIN, insiste sur l’intérêt de cette manifestation qui s’inscrit dans la continuité de celle organisée 2 ans plus tôt au prieuré de Gayac. Il dit la nécessité de la prise de conscience, par l’ensemble de la population, des effets de la guerre dans un moment où « la naïveté n’est plus permise ».
L’exposition comprenant également une partie dédiée aux services de secours aux soldats sur les théâtres d’opérations, le général Marc Puidupin, médecin chef de l’hôpital Robert Picqué explique l’importance de prendre en charge les blessures physiques des combattants mais aussi leurs blessures psychologiques et celles-ci avec des moyens thérapeutiques mais aussi avec la recréation du lien social autour des blessés. Pour lui « toute la société doit se mobiliser »
Le général Vincent Leroi président de l’association ESCALE insiste sur le fait qu’on doute souvent de la réalité de la blessure psychologique, le film et les témoignages de l’après midi expliqueront pourquoi, mais cette blessure est bien présente et souvent lente à cicatriser d’où la nécessité d’accueillir et replacer dans la société ceux qui en souffrent pour les aider à se relever.
Après la visite de l’exposition, que chacun effectue à son rythme, et une collation offerte par la municipalité, vient le temps de la projection du film « Invisibles » réalisé par l’un des blessés de l’embuscade d’Uzbin le 18 août 2008. Benjamin, le réalisateur, est présent. Il dit, avec beaucoup de pudeur mais aussi de tension contrôlée, sa difficulté à écrire ce documentaire, à se confier et à convaincre ses frères d’armes de le faire également.
Bien qu’il ne s’agisse pas du contingent mais de soldats engagés, le ressenti n’en est pas moins très amer comme avec Max : « on a donné notre jeunesse à la France, mais les gens n’en ont rien à faire de ton sacrifice… ». « Pour nos proches, on est dur à supporter, d’une instabilité totale… » Pawel parle de l’alcool pour oublier, des automutilations, de la culpabilité mais aussi du recours aux copains et de la rencontre avec sa femme et de l’arrivée d’une petite fille « seule façon d’échapper au suicide ». Il est convaincu qu’on est obligé d’avancer et, lui, dira tout à sa fille…
Un autre raconte : « on attendait les ordres… on a vu tomber les potes comme des mouches…. Les renforts sont arrivés trop tard… erreur de commandement… On voit la mort en face… toi aussi t’as enlevé une balle de ton chargeur ?... »
Franck poursuit : « il y a eu trop de non-dits, de rancœur… Je ne serai jamais en paix mais j’essaie de vivre avec », « une mission mal préparée et pas d’explications après.. Ceux qui ont pris les mauvaises décisions devront vivre avec »
Le documentaire montre ensuite des images d’archives celles de Nicolas Sarkozy, président de la république en 2008, venu soutenir le contingent français de la Force Internationale d’Assistance et de Sécurité (FIAS) pris à parti par les talibans dans la vallée d’Uzbin, et dire la nécessité pour la France d’accompagner les soldats qui reviennent d’Afghanistan.
Le film présente enfin Marc qui a combattu au Kosowo et qui exprime le même ressentiment : « on n’était pas préparé à ramasser nos copains à la petite cuillère ». De retour en France, les effets du syndrome post traumatique sur son comportement conduisent sa femme au désarroi le plus total. « Si ma femme s’effondre, il faut que je me relève pour la protéger et j’ai entrepris de me soigner ». Et pour lui c’est la preuve que la blessure psychologique se voit « il faut arrêter de nous mettre dans cette case de la blessure invisible ».
La discussion qui suit la projection apporte des éclairages complémentaires sur la situation et l’état d’esprit des combattants. Benjamin, le réalisateur du film, admet qu’aider les autres avec ce film l’a aidé lui-même à se reconstruire et qu’après Uzbin la prise en charge du syndrome post traumatique a été améliorée. Mais il dénonce l’attitude de certains médias. Il cite la « Une » de Paris Match et son reportage quelques semaines après l’embuscade montrant des talibans exhibant les armes et effets personnels de soldats français décédés.
Le général Puidupin rapproche la situation de ceux qui souffrent du syndrome post traumatique de celle des « gueules cassées » de la 1ère guerre mondiale avec dans les 2 cas un manque de reconnaissance de la part de la société.
Une discussion intéressante s’engage alors à propos de l’emploi du mot « victime » pour les soldats qui présentent un syndrome post traumatique par comparaison avec les civils confrontés aux terroristes. Benjamin se défend d’être une victime : « on est des blessés de guerre, pas des victimes, on s’est engagé et battu… ».
Le général Puidupin renchérit : « le militaire fait le choix de son engagement, ce n’est pas le cas des civils, d’ailleurs la prise en charge d’une victime civile est différente de celle d’un blessé de guerre »
Eric Fournaud conclut en considérant que la victimisation doit être évité car « elle exclut du reste de la société ».
Dans la séquence suivante, Géraud Burins des Roziers, ancien officier des chasseurs alpins puis grand reporter spécialisé dans l’actualité des pays en guerre et les dossiers d’investigation vient apporter son appui au travail déjà réalisé par Benjamin et ses encouragements aux initiatives qui vont être alors présentées par d’autres militaires confrontés aux effets du stress post traumatique.
Laurent, rescapé d’un attentat suicide et qui se demande pourquoi il est encore vivant, se reconstruit grâce à une activité de chef d’entreprise.
Jocelyn qui a eu la jambe arrachée par une bombe artisanale en Afghanistan trouve dans les défis physiques le moyen de son rétablissement, il a développé également une activité de logistique pour le cinéma.
Goeffrey tombé dans une embuscade quelques jours après celle d’Uzbin a lui aussi essayé de créer une association de défis sportifs mais il rechute au bout de 8 ans et doit se relever à nouveau toujours porté par son but ultime : servir, être utile dans la société civile. Il a donc créé une fondation : « Résilience » avec le soutien de l’Adapei de l’Ain et de fonds privés (ceux du MEDEF) pour venir en aide à tous les blessés de la société, en particulier les jeunes (ADAPEI , ASE, PJJ).
Boubacar a continué de servir dans l’armée malgré un stress post traumatique car il considère qu’ «un militaire hors du régiment n’est plus rien », mais il se ressource dans l’écriture. Après plusieurs divorces, il reconnait que la situation est difficile pour les femmes et il a décidé de se rapprocher de ses enfants.
Le parcours de Bruno est plus chaotique : de nombreuses missions en Afghanistan, au Kosowo, en Centre Afrique. Puis l’alcool, la violence, la drogue et le voilà SDF à Marseille. Mais une opportunité s’offre à lui de venir encadrer des jeunes à l’EPIDE et il avoue « j’ai contribué à transformer des jeunes, mais ils me soignent ».
Quant à Etienne lui aussi miraculé suite à l’attaque d’un véhicule suicide en Afghanistan, il continue de servir en centre Afrique mais développe un sentiment d’invulnérabilité qui le rend dangereux pour les autres soldats. Son stress post traumatique étant avéré il est mis en congé maladie longue durée. Sa rencontre avec Goeffrey lui offre une planche de salut et il s’est investi dans la fondation Résilience ».
De G à D: Géraud Burins des Roziers, Laurent Bernat, Jocelyn Truchet, Goeffrey Hodicq, Boubacar Kaba, Etienne, Benjamin Poincenet auteur du documentaire "Invisibles"
Eric Fournaud conclut la présentation de tous ces parcours de vie émouvants en mettant en exergue leurs points communs : le dépassement de soi et l’importance du projet collectif. Il insiste également sur le rôle des aidants et la nécessité vitale de les soutenir eux aussi car de leur bon équilibre dépend le rythme de guérison des blessés, c’est pourquoi ESCALE organise des week end de « répit » pour les aidants et conjoints.
L’ANMONM33 était représentée à cette manifestation par Bernard Mehl par ailleurs président de La France mutualiste de Bordeaux-Aquitaine partenaire de l’exposition, MMe Bernalès et Marie-Christine Plessiet, présidente déléguée du Comité de Pessac et des Graves pour le compte rendu. Parmi les autres partenaires, on trouve l’ANOPEX également représentée par Bernard Mehl.
Petit aperçu des photos confiées par les vétérans d'Afghanistan avec la légende qu'ils ont rédigée